Monday, June 09, 2008

TROIS PETITS TOURS ET PUIS S'EN VONT... (L. RANKINE, 24 février 1955)


La démission du dauphin de Staline a plongé les Occidentaux dans la stupeur. Stupeur feinte, il est vrai, car il n’est sans doute pas un seul homme poli tique responsable (?) des pays capitalistes pour ne pas admettre implicitement que la chute de Malenkov se trouvait rendue inévitable à la suite des dernières élucubrations de la politique du Pentagone. La ratification des accords de Paris et les préparatifs loufoques d’aide au boyard attardé de Formose, voilà autant de causes réelles à l’actuel raidissement soviétique, à l’apparent « retour à Staline » annoncé par Khrouchtchev au Soviet de l’U.R.S.S. En bon Talleyrand de la révolution d’Octobre, le larbin n° 1 Molotov n’a fait que renchérir à l’oscillation du pendule de la politique soviétique. Avant de s’étonner, nos innocents partisans du réarmement allemand auraient mieux à faire en reconnaissant que la discussion avec l’Est est maintenant, de nouveau, compromise par leur sottise criminelle. Quand donc comprendra-t-on qu’il existe chez les Russes – et avant toute présupposition révolutionnaire, hélas – une crainte permanente de l’Occident ? Et le tournant amorcé par Khrouchtchev ne manifeste, une fois de plus, que cette inquiétude – tout compte fait légitime, mais nuisible à la révolution même – que la politique de Staline, politique à l’échelle de cette réaction psychologique primaire, avait traduite avec tant de force, d’application rusée et naïve à la fois.


Néanmoins, la démission de Malenkov, si elle s’inscrit logiquement dans la longue suite des tournants du régime orchestrés en fonction de cette crainte, porte préjudice avant tout aux intérêts révolutionnaires du prolétariat mondial. Si le président du conseil russe est amené à se déclarer « incompétent », on se demande comment le sens critique des travailleurs doit être envisagé et quelle conclusion en tireront – ne disons pas les mercenaires de la philosophie bourgeoise du type Toynbee ou R. Aron – mais les marxistes authentiques. L’état actuel de la direction du mouvement révolutionnaire est tel que bien peu d’entre eux, sans doute, admettront encore la possibilité de perspectives révolutionnaires confiées à l’appréciation de gens aussi peu qualifiés que Malenkov, Khrouchtchev et consorts, ces staliniens sans Staline c’est-à-dire sans le mythe de la force. Il n’est pas de plus cinglant démenti du « niveau idéologique révolutionnaire » des staliniens, de leur prétendue « fidélité à Lénine » que la pitoyable confusion des maîtres actuels du Kremlin.


Où donc sont les révolutionnaires ? D’aucuns, déjà, prétendent à la « nouvelle gauche non marxiste », piège usé de la réaction style « capitalisme évolué ». Mais le moment est venu pour les marxistes de choisir entre les palinodies de Moscou et la voie difficile mais seule authentique, les perspectives de la critique réelle.


Léonard Rankine


Léonard RANKINE, « Trois petits tours et puis s'en vont... », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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