Wednesday, June 11, 2008

« LA BÊTISE AU FRONT DE TAUREAU » (23 mars 1955)


Dans le numéro 109 des Temps Modernes, on peut lire (pages 1053 à 1072) un « témoignage sur une corrida », dû à un certain Robert Misrahi, qui est bien un des textes les plus représentatifs de ce ton de pédantisme irréel introduit il y a quelques années dans la sous-production littéraire par Sartre, et presque disparu depuis sous le ridicule, mais que des épigones maladroits peuvent parfois relancer en aveugles.

La rivalité taureau-torero exposée sans rire comme une histoire d’« homosexuel envieux qui passe de la féminité à la virilité » en tuant l’animal permet au collaborateur des Temps Modernes de donner au torero un conseil péremptoire, et comme on n’a pas tous les jours la joie d’en lire :

« Il suffirait qu’il écrive ses expériences tauromachiques et se fasse poète ; comme Genet, seule la réflexion le sauverait » (p. 1069).

Poussant encore plus loin ce qui semble être une parodie trop chargée, il ressort comme argent comptant les pseudo-définitions de l’art que Sartre lui-même n’a jamais réussi à faire prendre au sérieux par personne, malgré les deux ou trois volumes de Situations qui les insinuaient à chaque page :

« ... la tauromachie ne saurait être assimilée à un art : elle n’a pas pour fondement la générosité, elle n’est pas un appel à la liberté des autres... » (p. 1072).

Il faut ajouter au désastre un petit « engagement » poliment enlevé sur l’économie, avec des aperçus bien personnels : « Sans tueurs (c’est-à-dire sans toreros), il n’y aurait pas d’éleveurs. » Puisque « les gros propriétaires fonciers qui font en grand l’élevage du taureau » feraient place peut-être, faute de taureaux, à des kolkhozes ? (Et d’abord, qu’allait-il faire en Espagne, ce voyou ? Grossir la foule des touristes qui versent leur obole aux finances du régime vaticano-franquiste, attirés par la bassesse des prix qui découle de la misère du peuple espagnol ; et la doctrine dont il est armé ne lui permettait-elle pas d’aligner exactement les mêmes conneries à propos de n’importe quel autre spectacle quotidien ?)

À propos d’une revue dont le support littéraire, bien défini par cette pourriture esthétique et morale qu’est Jean Genet, ne dépasse jamais le niveau de la farce de lycéens (voir dans les numéros 109 et 110 L’homme au bras d’or de Nelson Algren et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, s’ils ne sont pas plus normalement de Boris Vian), nous n’avons pas voulu attirer l’attention sur le « témoignage » d’une bêtise accoutumée, mais plutôt d’une prétention anormale.
« «La bêtise au front de taureau»», Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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