Saturday, May 17, 2008

LA VALEUR ÉDUCATIVE (G.-E. DEBORD, 26 janvier 1955 - 24 février 1955 - 23 mars 1955)


LA VALEUR ÉDUCATIVE (I)

Voix 1 : Parlons de la pluie et du beau temps, mais ne croyons pas que ce sont là des futilités ; car notre existence dépend du temps qu’il fait.

Voix 2 (jeune fille) : Tamar prit les gâteaux qu’elle avait faits et les apporta à Amnon, son frère, dans la chambre. Elle les lui offrit pour qu’il les mangeât ; mais il se saisit d’elle, et lui dit : « Viens dormir avec moi, ma sœur. » Elle lui répondit : « Non, mon frère, ne me fais pas violence ; ce n’est pas ainsi qu’on agit en Israël. Ne commets pas cette infamie ! Où irais-je, moi, porter ma honte ? Et toi, tu serais couvert d’opprobre en Israël. Parle plutôt au roi, je te prie ; il ne t’empêchera pas de m’avoir pour femme. » Mais il ne voulut point l’écouter, et il fut plus fort qu’elle ; il lui fit violence et il abusa d’elle.

Voix 3 : Sur quoi donc repose la famille actuelle, la famille bourgeoise ? Sur le capital, sur l’enrichissement privé. Elle n’existe en son plein développement que pour la bourgeoisie. Mais elle a pour corollaire la disparition totale de la famille parmi les prolétaires, et la prostitution publique.
La famille des bourgeois disparaîtra, cela va sans dire, avec le corollaire qui la complète ; et tous deux disparaîtront avec le capital.

Voix 1 : Bernard, Bernard, cette verte jeunesse ne durera pas toujours. Cette heure fatale viendra, qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une inexorable sentence. La vie nous manquera comme un faux ami au milieu de toutes nos entreprises. Les riches de cette terre qui jouissent d’une vie agréable, s’imaginent avoir de grands biens, seront tout étonnés de se trouver les mains vides.

Voix 4 : Mais ce qui, surtout, contribuera à fortifier le climat de confiance auquel la population d’Algérie aspire, c’est la nouvelle que les opérations de police se sont déroulées avec succès, et qu’elles se soldent par 130 arrestations opérées, notamment à Khenchela : 36 terroristes ou meneurs appréhendés, soit la plus grosse partie du commando de la nuit tragique. À Cassaigne : 12 arrestations. Il est particulièrement réconfortant, au demeurant, de souligner, en ce qui concerne ce dernier centre que, sur les douze individus arrêtés, quatre ont été livrés par les fellahs de la région eux-mêmes, qui ont tenu à prendre part aux investigations, pour livrer les coupables à la justice.

Voix 2 (jeune fille) : Les placides bovins seraient à la merci des carnivores, s’ils n’avaient leur paire de cornes pour se défendre. Dans l’aquarium voisin, nous voyons d’étranges poissons dont les yeux s’agrandissent démesurément.

à suivre



*
LA VALEUR ÉDUCATIVE (II)
(suite)

Voix 4 : D’ailleurs, des renforts – parachutistes, gendarmes, C.R.S., aviation – continuent d’être répartis aux points névralgiques, prêts à participer aux opérations d’assainissement dont M. Jacques Chevallier, secrétaire d’État à la Guerre, a dit hier qu’elles pourraient demander beaucoup de temps et d’hommes.

Voix 2 (jeune fille) : Hélas ! Chacun, en Grande-Bretagne, sait que la princesse – pour des raisons d’État – ne peut s’habiller chez les couturiers français. Voici cinq ans, elle acheta plusieurs robes chez Dior. Cela provoqua un véritable scandale.

Voix 1 : De quelque illusion, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer ; elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier.

Voix 4 : Aucun profit matériel n’attirait les hommes dans les régions polaires, mais seulement le désir désintéressé de connaître toute la terre. À force d’énergie, ils ont atteint les deux pôles.

Voix 3 : Il ne restait plus qu’à étudier l’intérieur des continents dont on connaissait les contours.

Voix 1 : Les fruits, les fleurs poussent à profusion, et au milieu de cette nature splendide les indigènes se laissent vivre nonchalamment.

Voix 4 : Les fellaghas ? Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? – Des cadres tunisiens ? On l’a dit… Et tripolitains ? Mais qu’ils bénéficient maintenant du recrutement local, ce n’est pas douteux. La plupart portent un semblant d’uniforme kaki.

Voix 1 : Ils aiment les jeux, les chants, la danse, et reçoivent les étrangers avec une hospitalité généreuse. Mais ils sont aussi de hardis, de remarquables navigateurs.

Voix 3 : Nous avons la situation bien en main, affirme le Gouverneur Général. On ne peut point régner innocemment.

(à suivre)

*


LA VALEUR ÉDUCATIVE (III)
suite et fin

Voix 4 : Le relief, le climat, les fleuves que nous avons étudiés jusqu’ici forment le cadre dans lequel vivent les êtres animés, les plantes, les bêtes, les hommes. Chaque espèce vivante s’adapte aux conditions naturelles. Mais souvent l’homme, l’être le plus actif et le plus destructeur, a modifié ces conditions et créé des paysages nouveaux.
Voix 1 : Les drapeaux rouges, frappés de l’étoile d’Ho Chi Minh, ont longuement flotté sur la ville. Les nouveaux maîtres n’oublièrent pas d’en décorer la cathédrale.

Voix 4 : Ainsi, la civilisation et les modes de vie modernes pénètrent jusqu’aux extrêmes limites des terres habitables.

Voix 3 : Autour du pôle Sud s’étend un continent montagneux.

Voix 2 (jeune fille) : Même quand je marcherais dans la vallée de l’ombre de la mort je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi.

Voix 1 : Les explorateurs ont pour ennemis le froid, le vent, l’obscurité, l’isolement.
C’est une véritable aventure qu’un départ vers ces régions. Même aujourd’hui, aidés par la T.S.F. et l’avion, les explorateurs se perdent.
Ils savent se guider d’après les étoiles, la houle, le vent. Ils ont des cartes marines faites de baguettes de bambou, indiquant les îles et les courants.

Voix 2 (jeune fille) : Je me souviens de l’amour que tu me portais au temps de ta jeunesse, au temps de tes fiançailles, quand tu me suivais au désert, sur une terre inculte... Et je t’ai fait entrer dans un pays semblable à un verger pour en manger les fruits et jouir de ses biens.

Voix 1 : Ceux qui font des révolutions dans le monde, ceux qui veulent faire le bien, ne doivent dormir que dans le tombeau.

Voix 3 : Les hommes construisent leurs maisons en vue de l’usage qu’ils veulent en faire. La même maison ne convient pas à toutes les occupations, à tous les genres de vie.
Tout ce qui n’est pas nouveau dans un temps d’innovation, est pernicieux.

Voix 1 : L’histoire des idées que prouve-t-elle, sinon que la production intellectuelle se métamorphose avec la production matérielle ?
Les idées dominantes d’un temps n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. On parle d’idées qui révolutionnent la société tout entière. On ne fait ainsi que formuler un fait, à savoir que les éléments d’une société nouvelle se sont formés dans la société ancienne ; que la dissolution des idées anciennes va de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence.

Voix 2 (jeune fille) : De nos jours on travaille surtout dans de grandes usines où les machines permettent de fabriquer d’innombrables objets. L’ouvrier surveille et règle les machines ; il se cantonne dans un travail uniforme et strictement défini. La mise en marche de telles usines exige des capitaux énormes, une force motrice et une main-d’œuvre abondante, et la proximité de voies de communication commodes.


Guy-Ernest Debord

Toutes les phrases de cette émission radiophonique ont été détournées de :

Bossuet. Panégyrique de Bernard de Clairvaux.
Demangeon et Meynier. Géographie générale. Classe de sixième.
France-soir, du 5 novembre 1954.
Livres de Jérémie, des Psaumes, de Samuel.
Marx et Engels. Manifeste communiste.
Saint-Just. Rapports et Discours à la Convention.



Guy-Ernest DEBORD, « La Valeur éducative », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955/numéro 17, 24 février 1955/numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

PIRE QU'ADAMOV ! (DEBORD, 26 janvier 1955)


Un royaliste et un R.P.F. portent sur scène La Condition humaine, reportage très romancé sur l’insurrection ouvrière de Shanghaï en 1927, écrit par le R.P.F. qui à cette époque était cosmopolite.

Les personnages du R.P.F. émettent des considérations générales sur l’esthétique de l’aventure, et l’acte gratuit dans le cadre du syndicalisme.

Le R.P.F. lui-même a passé une grande partie de sa vie à s’interroger sur l’esthétique de l’aventure. Depuis il est devenu aventurier de l’esthétique.

Le royaliste est moins renommé. Mais il a ses références : il est le dernier en France à rajeunir Eschyle. On se souvient de La Course des Rois.

Dans La Condition humaine il n’y a pas de roi, mais tout de même un général, qui est encore célèbre à Formose. Et une mitrailleuse, très réussie.

Le R.P.F. n’est pas un simple néoboulangiste : il est également Nouvelle-Gauche, comme Mauriac et le président Mendès-Bonn.

Par hasard, un cinéma reprend en même temps L’Espoir, film que le R.P.F. tournait en 1938 à Barcelone. Là de très belles séquences nous ramènent comme chez nous à la guerre d’Espagne.
La pratique du témoignage et du faux-témoignage fut décevante pour ce R.P.F. qui peut déjà deviner, à certains signes, quels détails précis une immédiate postérité retiendra de tant de bruit.

G.-E. DEBORD, « Pire qu'Adamov ! », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)

LES CANONS DE L'O.T.A.N. (26 janvier 1955)


« Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous réunis. Tout à coup, il vint du ciel un bruit pareil à celui du vent qui souffle avec impétuosité ; il remplit toute la maison où ils étaient assis. Alors ils virent paraître des langues séparées les unes des autres, qui étaient comme des langues de feu, et qui se posèrent sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils commencèrent à parler en des langues étrangères, selon que l’esprit leur donnait de s’exprimer. »

Actes des Apôtres 2 – 1

« L’injure ? Ce n’est pas ma manière. Mais il arrive qu’un écrivain ait le sens de la formule. Le trait porte. Qu’y faire ? C’est une grâce que j’ai reçue et que je vous souhaite. »

François Mauriac
Express 22 – 1
« Les Canons de l'O. T. A. N. », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)

Friday, May 16, 2008

LE SQUARE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES (M. BERNSTEIN, 26 janvier 1955)


À la limite des sixième et septième arrondissements, ce square, cerné à très courte distance par la rue de Babylone et le boulevard Raspail, reste d’un accès difficile et se trouve généralement désert. Sa surface est assez étendue pour celle d’un square parisien. Sa végétation à peu près nulle. Une fois entré, on s’aperçoit qu’il affecte la forme d’une fourche.

La branche la plus courte s’enfonce entre des murs noirs, de plus de dix mètres de haut, et l’envers de grandes maisons. À cet endroit une cour privée en rend la limite difficilement discernable.

L’autre branche est surplombée sur sa gauche par les mêmes murs de pierre et bordée à droite de façades de belle apparence, celles de la rue de Commaille, extrêmement peu fréquentée. À la pointe de cette dernière branche on arrive à la rue du Bac, beaucoup plus active.

Toutefois le square des Missions Étrangères se trouve isolé de cette rue par un curieux terrain vague que des haies très épaisses séparent du square proprement dit. Dans ce square vague, fermé de toutes parts, et dont le seul emploi semble être de créer une distance entre le square et les passants de la rue du Bac, s’élève à deux mètres un buste de Chateaubriand en forme de dieu Terme, dominant un sol de mâchefer. La seule porte du square est à la pointe de la fourche, à l’extrémité de la rue de Commaille.

Le seul monument du lieu contribue encore à fermer la rue et à interdire l’accès du square vague. C’est un kiosque d’une grande dignité qui tend à donner toutes les impressions d’un quai de gare et d’un apparat médiéval. Le square des Missions Étrangères peut servir à recevoir des amis venant de loin, à être pris d’assaut la nuit, et à diverses autres fins psychogéographiques.

Michèle BERNSTEIN, « Le Square des Missions Étrangères », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)